LES MYSTÈRES DU NOIR
- Melancolia Magazine
- 7 mars 2020
- 5 min de lecture
Le noir est une couleur chargée d’histoire. Du XIVème siècle à nos jours, le noir traverse les années et s’adapte aux tendances. Il s’invite sur les défilés de mode et caractérise les plus grandes pièces de Haute Couture des maisons de luxe.
À la fin du Moyen-Âge, la couleur noire s’invite dans les codes vestimentaires. Cette tendance apparaît à partir du 10 septembre 1419, à la suite de l’assassinat de Jean Sans Peur, duc de Bourgogne. Meurtri suite au décès de son père, Philippe Le Bon décide de se vêtir uniquement de noir afin de montrer sa profonde tristesse. Considéré comme l’homme le plus puissant d’Occident, Philippe III de Bourgogne influence la mode de l’époque imité et copié immédiatement par ses sujets et courtisans. La nouveauté du Duc de Bourgogne inspira d’autres Cours comme en Espagne avec l’empereur Charles Quint, qui se vêtit de noir tout au long de sa vie. Le noir se répand alors dans les usages et est utilisé comme marqueur social. En effet, les couleurs des vêtements, les ors et les différentes étoffes représentent des éléments permettant de distinguer le statut social et politique d’une personne au sein d’une communauté. Au XVIème siècle, teindre les tissus coûte extrêmement cher : seules les personnes riches peuvent se le permettre. Le noir devient donc rapidement un signe extérieur richesse, permettant une distinction sociale. Il est considéré comme signe de noblesse et de royauté. À la cour d’Espagne comme chez les nobles flamands ou les seigneurs de Venise, on fait confectionner des habits noirs pour se distinguer et signaler tant sa position sociale que sa richesse. On le qualifie d’un acte de pur élitisme.
Durant des décennies le noir amène à la réflexion. Il regroupe les teintes les plus obscures en ne laissant passer aucun spectre lumineux. Mais le noir est-il considéré comme une couleur ? La question ne cesse de se poser et varie selon les cultures, les métiers et les opinions. Les teinturiers la considèrent comme telle, alors que certains peintres s’opposent à cette interprétation comme Léonard De Vinci. Couleur ou non, le noir représente le symbole de l’élégance et de la modernité.
En effet, le noir devient alors l’allié de nombreux vêtements iconiques et notamment dans un premier temps, du fameux smoking. C’est après la guerre de Crimée que les soldats revenus du front se mirent à fumer de manière plus abondante, démocratisant la cigarette. Après le repas, les hommes enfilent une veste longue avant d’allumer leur cigarettes afin de ne pas se salir et ainsi protéger ses vêtements de la salissure et des odeurs. On surnomme alors cette pièce le «smoking jacket». Mais après avoir connu un fort engouement auprès de la noblesse, le noir connaît une éclipse au siècle des Lumières, laissant place aux couleurs vives. Or en 1860, Edouard VII, prince de Galles demande à son tailleur, Henry Poole & Co de Savile Row de moderniser la «smoking jacket». Il demande une veste moins encombrante, plus moderne avec davantage de tenue ainsi qu’une boutonnière simple. Le smoking d’aujourd’hui apparaît. Il se présente noir de sorte à ne pas voir les cendres qui auraient pu s’échapper de l’encolure en soie. Cette encolure a pour objectif de faire glisser la cendre le long de la veste afin de toujours paraître propre et élégant. Cette pièce devient un vêtement iconique du vestiaire masculin. Aujourd’hui le smoking reste un incontournable dans le vestiaire masculin même si son utilisation première n’est plus purement tournée autour de l’action de fumer sa cigarette ou son cigare.
La couleur influence également de nombreux mouvements et créateurs dans la mode. Le New Wave tire son nom de différents styles musicaux apparus à la fin des années 1970. Le dit « post-punk » se démocratise en marge des mouvements underground. Il impose les couleurs sombres entre le gris et le noir, reprenant les codes du Rock’n Roll. L’objectif ici est d’être le plus sombre possible, neutre mais aussi et surtout anonyme. Les groupes musicaux se succèdent allant de Depeche Mode à Tears for Fears. En 1986, le mouvement «new wave» laisse place au style punk, continuant à perpétuer le noir. Les créateurs japonais tels que Yohji Yamamoto ou Rei Kawakubo, aux antipodes des couleurs vives dans années 1980 cherchent eux aussi à perpétuer le noir. Un contraste et un choc à l’époque puisque leurs défilés ne présentent que des collections entièrement noires. Pour Karen Van Godtsenhoven, les créateurs japonais semblent nous dire que la couleur n’est que distraction, qu’il est temps de revenir à l’essence de la structure et des lignes d’un vêtement. Des architectes, designers, critiques d’art ou rédactrices de mode alors convaincus, commencent à s’habiller en noir, remaniant cette couleur sous toutes ses formes. C’est d’ailleurs dans cette continuité que s’inscrivent d’autres créateurs antifashion comme Martin Margiela et Rick Owens. Pourtant sorti des ateliers colorés de Jean-Paul Gaultier, le créateur Belge Margiela se réfugie dans le noir après s’être détaché de son groupe de stylistes considérés avant-gardistes et surnommés les «Six d’Anvers». Il bouscule les conventions et se rapproche du style Gothique de l’époque. Le noir est sa couleur de prédilection. Il invente et réinvente des vêtements en tous genres faisant des collections et des défilés toujours plus surprenants.
Tom Ford mais aussi Hedi Slimane travaillent le noir sous toutes ses formes jouant avec les contrastes. On le retrouve sur des silhouettes de manière laqué, satiné, lustré ou encore cuivré. La mode des années 2000 est fine et charbonneuse, les vêtements sont serrés et la taille est marquée. Influencée par les couturiers Hedi Slimane et Raf Simons, la jeune génération surfe sur le luxe et les tendances à la fois sobres et extravagantes. Les pièces iconiques reprennent tout doucement place dans les dressings tout comme les pièces basiques mais indémodables tels que le smoking et la petite robe noire. On réinvente des pièces iconiques, on s’inspire des époques précédentes, on sort du style conformiste et surtout on s’affirme en noir.
Quant à l’art du noir, une personne se présente comme le chef du mouvement, sublimant la couleur. On parle du fameux carré noir de Kasimir Malevitch. Créé en 1915, le tableau est composé d’un carré noir sur fond blanc. Peint à l’huile ce tableau revendique les conventions de l’époque et s’inscrit comme étant futuriste à l’égard du bon goût, des normes sociales et artistiques. L’art c’est aussi la photographie et dans ce domaine nombreuses personnes s’imposent sur des clichés en noir et blanc afin d’exprimer une émotion particulière dans une atmosphère sombre et nostalgique. Ces photographies permettent une intemporalité de l’image et une interprétation qui nous est propre. Pierre Soulage est l’un des pères de cette technique qu’il appelle «noir-lumière» ou encore «outre-noir». Loin des photos de modes, il rejoint néanmoins les mêmes ambitions que celle-ci. Un symbole symboles forts et messages engagés caractérisent les clichés.
Le noir s’invite également dans la littérature, notamment dans la poésie de Beaudelaire ou de Rimbaud. Ces poèmes font référence aux significations de cette couleur : la nuit, l’ombre, le mystère, la peur ou encore les ténèbres. Autant de mots forts pour refléter l’univers dark.
Toutes ces références naissent de domaines différents et pourtant tous ont une influence directe sur les tendances et la mode en général. L’exemple parfait est la mode punk et gothique. Anticonformistes, en quête de liberté et d’indépendance, cette couleur aide à l’affirmation des personnes. Il représente tout un symbole, une modernité à toute épreuve. On parle du fétiche chromatique des plus grands reformeurs de mode. Le noir explore toutes les coutures du monde, coule sur tous les podiums et affirme son caractère.
Rédigé par Laurine Roussel.
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