La mode sous dictature
- Melancolia Magazine
- 29 févr. 2020
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 mars 2020
Unique et révolutionnaire, l’ère millennials impacte le monde de la mode. Simple tendance ou réelle dictature, les marques doivent faire face à ce tournant. Innovations et stratégies apparaissent au sein des maisons de luxe afin de répondre aux besoins de cette génération, parfois au risque de perdre leur identité.
Remontons au XIXème siècle, lorsque l’histoire de la mode commence véritablement. Innovant, le créateur Charles-Frédéric Worth, célèbre pionnier de la Haute Couture, fait défiler de vrais mannequins avec ses propres modèles au sein de prestigieux salons où se retrouve une clientèle féminine aisée. On parle des premiers défilés de couture de l’histoire.
Histoire et valeurs se mêlent afin de toucher les consommateurs et construire une véritable identité, atout majeur pour les entreprises qui se doivent par conséquent d’être soigneusement développées, de façon à véhiculer une image fidèle et authentique. La marque, définie par son identité, se doit d’innover. L’expression d’un goût, d’un créateur, sont les éléments fondateurs du caractère authentique de la marque qui entre en résonance avec ses clients. Les plus vieilles maisons de couture à l’instar de Chanel et Poiret sont aujourd’hui ancrées sur le marché de la mode et sont reconnaissables entre mille. Outre l’importance de son appellation, les collections de la marque reflètent l’identité de cette dernière. Lorsque l’on évoque l’iconique semelle rouge, Christian Louboutin fait l’unanimité. Minimalisme, architecture et graphisme évoquent sans aucun doute l’esprit Rick Owens. S’identifier à une marque unique est d’autant plus facile. Bien entendu, cette identité de marque se doit de rester en constante évolution et fait l’objet d’un suivi minutieux afin de s’adapter aux préférences changeantes des clients.
Est considéré millennial, ou membre de la génération Y, tout individu né entre 1980 et 1995. Cette génération grandit en corrélation avec l’évolution des technologies d’information et de communication et se distinguent par ses caractéristiques sociologiques et comportementales propres. Difficiles à cataloguer, soucieux de l’art du paraître ainsi que des questions d’éthique, les millennials constituent une cible à part pour les marques. Faisant de leur vie une succession de Stories Instagram, ils se distinguent par leur complexité à être cernés et appréhendés par les créateurs. Amoureux de la mode et de leur apparence, ils ne sortent jamais sans leurs sneakers. Les millennials sont à la fois slow et fast fashion. Se mêlent alors questions d’éthique et contraintes budgétaires, bien qu’ils tendent vers l’industrie du luxe. Obnubilés par les tendances, l’industrie de la mode se doit de leur réserver un accueil des plus prometteur. N’oublions pas que les acheteurs fortunés de demain ce sont eux ! L’industrie s’adapte et se plie aux codes de cette génération pointue, informée et plutôt engagée. Donatella Versace, Directrice Artistique de la Maison Versace s’est exprimée à ce sujet : « Les millennials, ont le pouvoir. Nous avons le pouvoir si nous comprenons ce qu'ils veulent. ». Mode et influence génèrent aujourd’hui un nouvel enjeux pour les marques.
La génération Y repeint le monde de la mode d'une couleur à son nom : le Millennial Pink. Proche du saumon, ce coloris unisexe est agent de l'abolition des stéréotypes de genre. Il détourne la joliesse supposée du rose vers un univers plutôt rétro.
Nul ne doute que l’ère des millenials impacte le monde de la mode. L’apparition du streetwear sur les podiums, promue par la griffe Vetements, signe la montée en puissance de cette influence. Casquettes, capuches, joggings et skateboards font désormais partie intégrante du lexique de la mode. Quant aux contrats, ils sont aujourd’hui décrochés par des rappeurs en vogue auprès des jeunes. Prenons l’exemple de Travis Scott, nouvelle égérie Saint Laurent en 2019.
Émerge alors un fort questionnement pour les marques de mode. Faut-il s’adapter à l’ère millenials au risque de perdre son identité ? Sujet tabou ou bien sujet d’actualité, le débat est lancé.
L’exclusivité est la clé des maisons de luxe. Si le rêve ne peut se comparer, les marques de luxe non plus. La compréhension du rêve que l’entreprise cherche à incarner ouvre un champ de produits possible assez important voire aussi important qu’il y a de clients. Dans le luxe, le créateur est roi ! Bien trop d’écoute du client peut conduire à une perte d’identité.
Chez Gucci et Saint Laurent, les millennials s’imposent. Devenus des clients importants, les marques n’ont d’autre choix, pour stimuler l’effet miroir, de rajeunir les égéries d’heure en heure. À seulement 15 ans, Deva Cassel, fille de Monica Bellucci, apparait comme le nouveau visage du tout dernier parfum Dolce & Gabbana, Dolce Shine. Quant à Ilona Smet, âgée de 22 ans, elle s’allie à la célèbre Maison Balmain et fait sensation lors des campagnes publicitaires.
Les sneakers, tendance mode favorite des millenials, sont passées du statut d’accessoires sportswear à celui d’objet de luxe en quelques années seulement. Sur les podiums des plus grandes maisons de mode, les sneakers s'imposent comme le nouvel accessoire de luxe à adopter. Les cinq sneakers les plus convoitées de l'année 2019 sont par ailleurs toutes issues de griffes de créateurs. Des baskets blanches à plateforme Alexander McQueen aux Ace sneakers signées Gucci, le classement ne fait que confirmer l'attrait de la clientèle pour le streetwear de luxe. Les iconiques Triples S de Balenciaga, un modèle qui à lui seul, a relancé la tendance des «dad shoes» obtient la 3ème place du Top 5.
L'industrie du luxe s’est emparée de cette mode sportswear et la revisite à sa sauce. Avec le retour de la «logo mania», les marques de luxe ne se privent plus d'apposer leur signature sur des sneakers griffées. Naissent alors une multitude de collaborations. De Dior X Nike en passant par Balmain X Puma sans oublier Prada X Adidas, le co-branding ne cesse de se développer. Afin de toucher une clientèle plus large, les Maisons de luxe s’allient aux puissants de la mode et proposent des collections inédites. En avril 2019, la collection capsule Jean Paul Gaultier en collaboration avec Suprême, marque fétiche des jeunes consommateurs a fait sensation. Les maisons de luxe multiplient les collaborations, une façon de recruter une clientèle plus jeune et de cibler de nouvelles communautés. Ces alliances ne sont néanmoins pas sans risques pour les marques. «Trop de collabs tue la collab. Il ne faut pas perdre son identité.» exprime Pierre-François Le Louë.
Acheter du luxe sur internet ? La fin d’un tabou, l’heure est à la digitalisation pour les marques de luxe ! La collaboration entre le luxe et le digital est une réalité. On observe en effet une modification des comportements d’achat. Avec la montée en puissance de la génération Y, le luxe devient aussi un produit éphémère et échangeable. De nombreuses controverses apparaissent. Comment faire face à la nécessité de digitaliser lorsque la base de son identité repose sur la difficulté d’accès ? Là où le digital facilite l’accès et multiplie les possibilités, les entreprises du luxe doivent cultiver la rareté de leurs produits. Bien que certaines marques refusent de se mêler à l’ère du digital, d’autres ont choisi d’ouvrir des boutiques en ligne.
Loin d’une lubie, l’obsession de l'industrie pour l’influence des millennials demeure pragmatique. S’ils ne consomment pas aujourd’hui, eh bien ils consommeront demain.
Rédigé par Audrina Cartagena.
Comments